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Ils ont la paroleInterview

Rencontre avec Florent Cardinaux

Rares sont ceux pratiquent encore la photographie nature et animalière en argentique ! Florent Cardinaux, un photographe dont j’admire depuis longtemps le travail, est l’un de ces irréductibles, et nous livre des images d’une grande sensibilité et d’une qualité incomparable !

Copyright : Florent Cardinaux
Copyright : Florent Cardinaux

Bonjour Florent ! Avant de commencer, merci d’avoir accepté cet entretien ! En guise de prélude, pourrais-tu te présenter en quelques mots s’il te plait ?

Bonjour Anaïs, je vous remercie sincèrement de m’inviter sur votre site de photographie argentique, que je connais et apprécie depuis quelques années.

Je suis photographe professionnel depuis 2004. J’habite dans les montagnes du Jura où je suis né il y a près de 40 ans, elles sont mon principal sujet dans leur diversité de paysages, de flore et de faune.

J’ai publié deux livres, D’une aube à l’autre (2008) et Ombres d’ailes (2013). Mon dernier livre Jura aux origines sera publié en autoédition fin mars 2016.

Copyright : Florent Cardinaux
Copyright : Florent Cardinaux

Depuis quand pratiques-tu la photographie ? Quelle est ta formation ? Quel format utilises-tu ? Quel est ton appareil de prédilection ?

Depuis l’enfance je me suis promené dans les bois et les champs, je ramenais des bêtes pour les étudier dans des vivariums. Ma sensibilité et mes connaissances sur la nature étaient déjà bien affûtées lorsque j’ai débuté la photographie à l’âge de 19 ans. J’ai mené de front mes études de biologie à l’université et la photographie de nature sur mes temps libres. Déjà se manifestait une ambivalence entre le caractère rigoureux de la science et la face plus artistique de la photographie vers laquelle je tendais naturellement et pour laquelle j’ai décidé de vivre…

J’ai longtemps utilisé le 24×36 mm traditionnel avant de me tourner vers le moyen format 6×7 cm et 6×12 cm il y a dix ans pour mon projet « Jura aux origines ».

En 35 mm, j’ai une dizaine de boîtiers Nikon dont beaucoup d’anciens mécaniques comme le F2As, les nikkormat FT ou le FM3a mais celui que j’apprécie particulièrement est le FM2/T qui a produit presque toutes les images de mon premier livre. Il ne m’a jamais fait défaut en 15 ans, des crêtes jurassiennes en hiver à – 35 °C jusque dans les chaleurs étouffantes de l’été.

En moyen format, je suis un adepte du Pentax 67, une sorte de gros 24×36 avec lequel j’ai mes habitudes. Je l’utilise avec une cellule indépendante pour y reporter ma mesure de la lumière.

Copyright : Florent Cardinaux
Copyright : Florent Cardinaux

Tu t’intéresses principalement à la photographie « nature » notamment la photographie animalière. C’est assez singulier de toujours pratiquer ce type de photographie en argentique. Pourquoi avoir conservé de medium ?

En 1995 lorsque j’ai débuté, le numérique n’existait pas, on apprenait la photographie dans un livre technique ou dans un club photo et surtout on progressait moins vite qu’au travers des forums internet d’aujourd’hui où chacun se confronte dans une saine émulation. Mais on travaillait la lumière d’un film à l’autre et je crois que cette formation en autodidacte m’a beaucoup servi par la suite. Quand beaucoup de photographes en diapo couleur sont passés en numérique dans les années 2000, j’ai conservé mon équipement argentique, préférant attendre plutôt que de me précipiter dans la voie royale.

Il fallait racheter des grands angles, la visée des boîtiers DX ne me convenait pas, je n’arrivais pas à faire des mises au point correctes avec mes optiques AIS. Surtout je n’arrivais pas à retrouver une méthode de travail satisfaisante, mes essais avec le D200 ont été catastrophiques ! Cette sensation d’avoir un nombre de photos illimité en numérique m’a totalement déstabilisé, moi qui était habitué à ne déclencher qu’avec parcimonie, au paroxysme de la lumière et de l’attitude de mon sujet. Bref, si dès le départ Nikon avait sorti des boîtiers 24×36 peut-être aurais-je basculé moi aussi mais finalement au fil des années je suis resté en argentique par habitude.

Copyright : Florent Cardinaux
Copyright : Florent Cardinaux

Quand on travaille sur des livres, il est important d’avoir une unité de rendu et mélanger les deux techniques me gênait également. J’aime le medium argentique pour son aspect concret et facile d’emploi, un négatif ou une diapo peuvent se regarder à la simple lumière d’une fenêtre. Il y a dans l’argentique une âme résultant du processus cérémonial de la prise de vue, à opposer au caractère immédiat du numérique. J’apprécie le recul qu’on peut avoir sur une image argentique quand elle est développée des semaines, voire des mois après sa création. Il se crée une distance avec sa propre image qui permet de la revoir sous un jour nouveau après le développement. Si de nouveau le « coup au cœur » fonctionne lors de sa redécouverte, alors la photographie est bonne. Une image argentique est la succession de deux émotions, celle de la prise de vue et celle de sa révélation.

Copyright : Florent Cardinaux
Copyright : Florent Cardinaux

Je suis depuis longtemps ton travail et je sais que tu pratiques aussi bien la couleur que le noir et blanc. Comment sélectionnes-tu ton film de prise de vue ? Quels sont tes films favoris ?

Quand on travaille comme moi sur beaucoup de sujets en même temps, le principal souci est le nombre de boîtiers à emmener avec soi dans le sac à dos. Quand j’oriente mes sorties sur le paysage, j’emmène un Pentax 67 chargé en diapo couleur Fuji Velvia 50, ainsi qu’un deuxième en négatif noir et blanc Ilford Pan F 50 pour garder une unité de sensibilité. En ce moment, je travaille uniquement en 24×36 donc c’est plus simple et je n’emmène que trois boîtiers 24×36 manuels, un F2As équipé en Velvia 50 pour les vues crépusculaires en silhouettes, un F3Hp pour les vues communes en Provia 100F ainsi qu’un FM3a pour les vues en lumière très faible avec un film négatif noir et blanc Delta 3200. Si j’ai des vues subaquatiques en tête, j’y adjoints également un ou deux Nikonos V en Provia 100 F et 400X. J’ai aussi travaillé sur un sujet en Kodak Tmax 400, mais son grain m’a paru trop lissé bien que très fin, j’avais en tête le rendu du Delta 400 d’Ilford plus régulier.

Copyright : Florent Cardinaux
Copyright : Florent Cardinaux

Il y a une de tes séries qui m’a particulièrement marquée : celle des blaireaux en noir et blanc. En effet, la photographie animalière en argentique c’est déjà pas simple mais alors de nuit (ou au crépuscule), c’est plus qu’impressionnant. Pourrais-tu nous raconter l’histoire de cette série ainsi que les contraintes de prise de vue ?

Oui, cette série crépusculaire sur les blaireaux, réalisée en lumière naturelle avec le film noir et blanc Ilford Delta 3200 a marqué pas mal de monde lorsque je l’ai dévoilée il y a 4 ou 5 ans. A l’époque je cherchais un rendu différent dans mes images jusque-là réalisées en diapo couleur. Je pensais revenir au négatif noir et blanc de mes débuts et je cherchais un sujet pouvant convenir à ces exigences. L’idée du blaireau est venue naturellement, c’est un animal fait pour le monochrome qui sort de son terrier juste avant la nuit, donnant des ambiances très douces propices à l’expression de la gamme de gris. J’ai commencé à travailler sur les terriers avec un 500 f/4 AIP ou un 300 f/4 AFS, avant d’utiliser un 300 f/2.8 AIS pour sa luminosité bien utile dans ces conditions. J’ai travaillé avec un FE2 pour son silence au déclenchement et sa bonne visée, tout en manuel sauf l’exposition que je laissais souvent en mode A. Souvent, passé la limite du 1/30e de seconde nécessaire pour avoir un sujet net, je laissais filer ma vitesse d’obturation jusqu’à la seconde et même au-delà pour réaliser des filés. La contrainte technique s’est donc transformée en avantage et m’a permis de réaliser des images différentes, plus artistiques. Le grain du film Delta 3200 est très beau, je voulais ce rendu très pictural avec des ombres enterrées pour rendre compte du flottement et de l’imprécision de ce moment d’avant-nuit. On va alors à l’essentiel, une forme, un animal, un cadre et soudain on tient une image. Depuis j’ai élargi mon sujet des blaireaux à d’autres animaux, pour en faire une véritable recherche qui me prend beaucoup de temps. Il règne une ambiance particulière à la tombée de la nuit : tous les oiseaux chantent puis se taisent subitement, un merle s’envole affolé alors qu’un renard rôde, quelques corneilles regagnent leur dortoir, les premières chauves-souris passent sous les ramées. J’aime ces brefs instants où tout est tendu sur le fil du dernier jour, prêt à basculer dans l’abîme de la nuit et j’essaie alors de capter un sujet, ce n’est pas toujours facile !

Copyright : Florent Cardinaux
Copyright : Florent Cardinaux

Il me semble que tu développes et tires toi-même tes images. Le fais-tu pour tous tes films (positifs et négatifs) ? Pourquoi ce choix ?

J’ai une chambre noire équipée de deux agrandisseurs Durst 800 et Beseler 23 qui me permettent de tirer jusqu’au format 6×9. En noir et blanc je maîtrise toute la chaîne, de la prise de vue au tirage en passant par le développement de mes films en cuve Patterson. J’ai affiné une méthode de développement particulière du film Delta 3200 dans le révélateur Microphen, en doublant le temps préconisé par Ilford pour obtenir un négatif bien dense et en agitant très peu pour garder une belle homogénéité de grain. Je tire les meilleures images en format 40×60 cm, ce qui nécessite de la place pour les cuvettes de ce format. Je ne pratique plus que le baryté Ilford, de préférence en version mat, et bien sûr il y a aussi la phase de repique des points blancs au pinceau. Quand je vends un tirage baryté noir et blanc 210 euros numéroté sur 15 exemplaires, cela est bien peu par rapport au travail artisanal fourni. Chaque tirage est unique…

Le laboratoire de Florent Cardinaux
Le laboratoire de Florent Cardinaux

En couleur, je ne travaille qu’en diapo et je fais développer mes films en bande dans un grand labo parisien (Rainbow Color) avant de scanner les meilleures vues sur mes scanners et de les archiver en classeurs. Je pourrais également développer mes films couleur, cela est possible avec une machine et un kit E6, mais j’ai gardé mes habitudes avec mon laboratoire. Il faut dire que quand vous avez 20 ou 30 films diapo à développer, il faut un peu de temps…

Je garde un œil attentif à l’évolution des prix des films, surtout en diapo. Ces dernières années il y a eu une augmentation conséquente du coût de la pellicule suite au passage au numérique de bien des photographes. Le prix de la Velvia 50 devient prohibitif pour un usage soutenu et bien souvent je lui préfère maintenant la Provia 100F, sauf en paysage où elle reste la reine pour son rendu saturé. On verra comment évolue le marché, la seule manière de le garder à un niveau acceptable est de consommer des films !

Copyright : Florent Cardinaux
Copyright : Florent Cardinaux

Enfin, quel est ton plus beau souvenir de prise de vue ?

Celui à venir, car le temps passe et on oublie tout… J’aime me balader avec des images en tête et me dire que ce soir, peut-être, l’une d’entre elles va passer devant moi. Je lèverai alors le filet de mon appareil pour la saisir au vol. L’important est d’avancer avec une idée précise de ce que l’on souhaite créer et d’ouvrir la porte de ses sens et de sa sensibilité pour accueillir le champ des possibles et y accrocher une réalité…

Copyright : Florent Cardinaux
Copyright : Florent Cardinaux

Vous pouvez retrouver le travail de Florent sur son site mais également sur sa page Facebook ! Et n’hésitez pas à pré-commander son prochain ouvrage !

One comment
  1. Bruno

    Merci Anais

    je viens de regarder son site j aime bien ,comme je fais quelques photos de paysages quand je peux a la chambre ! et le mieux en diapo velvia 50 superbe rendu !

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